La force des enfants
Alors qu’en France les manifestations d’insatisfaction se multiplient et que la jeunesse de notre pays défile dans les rues pour défendre un autre avenir, ici une toute autre jeunesse s’élève tranquillement vers un A-venir meilleur – je l’espère !
Et pourtant ces petits camerounais auraient eux aussi des raisons de manifester, face à la mauvaise gestion des ressources de leur pays, face à l’inertie ambiante, face à la corruption et l’inégale répartition des richesses.
A l’école, à la maison, les enfants me surprennent.. Mais où puisent-ils cette force, quand autour d’eux certains ne font rien, strictement rien ? Souvent je les vois participer activement aux tâches quotidiennes. Pas besoin de répéter dix fois, ils exécutent, se mettent au service du bien commun.
Je n’avais pas saisi au départ à quoi correspondait « LABOUR » sur les emplois du temps des classes le vendredi après midi. Pendant 1 heure, chaque classe du CP au CM « travaille » pour l’école : pour débroussailler les sentiers, protéger les arbres, nettoyer les classes, laver les tableaux. Toutes les mains sont occupées entre rire et sérieux. Et ça semble tout à fait normal, accepté par tout le monde. Ça fait même partie du règlement intérieur de l’école.. et de toutes les écoles au Cameroun. Même en collège, même en lycée, même à l’école d’Aides soignantes, les élèves relèvent leur manche !
Les uns vont creuser la terre, d’autre la portent pour combler les trous de la surface de jeu, certains ramassent les brindilles d’herbes sèches, les déchets, les autres élaguent les arbres. Les écoles ont peu de moyens, pas de jardinier, pas d’homme d’entretien, parfois une femme de ménage, mais pas toujours et peu de matériel. Les enfants apportent de la maison le nécessaire : balai, houe, raclette, seau, bâton, ficelle, …
240 petites fourmis qui se mettent au travail, sans craindre de salir leur tenue avec la terre rouge, ou mettre les mains dans la boue. C’est assez déconcertant. Les professeurs coordonnent les tâches – et l’école peu à peu prend une autre allure – elle retrouve son charme et les enfants sont fiers de la quitter dans cet état…
Imaginez ça dans nos écoles en France ! Demandez à tous nos élèves pendant une heure de sortir de la classe pour nettoyer, arranger l’établissement !
Chaque semaine, ce serait trop .. une fois exceptionnellement ça passerait peut être ? On y trouverait un intérêt pédagogique quelconque : sensibiliser les élèves au bien commun, au respect du matériel mis à disposition, peut être y aurait alors moins de dégradation, qui sait ? Peut être aussi plus de respect du travail du personnel de nettoyage ? peut être aussi une autre relation entre les élèves et les enseignants, les équipes de direction de nos établissements. J’imagine les élèves râlés, disant que ce n’est pas leur travail, que ce n’est pas eux de faire ça.. J’entends déjà les collègues dirent qu’ils vont perdre du temps et qu’ils n’arriveront pas à boucler leur sacro-saint programme cette année !!
A la maison, les garçons lavent leur linge tous les samedis matins, ils font leur repas tous les jours.. Du plus petit qui a 9 ans au plus grand qui en a 15, chacun sait ce qu’il a à faire et les tours de corvée passent de main en main : un jour c’est la cuisine, le lendemain c’est le nettoyage de la douche, de la vaisselle, le travail au jardin.. Peu de place pour le divertissement !
Mais à côté de ça, ils s’organisent .. et peu à peu gagnent en autonomie, bousculés surement dans le rythme de l’enfance, et très loin du confort dans lequel les petits français grandissent.
Et je pense à Christine, qui aujourd’hui gagne bien sa vie et est totalement autonome. Elle habite loin de chez son père. Alors pour l’aider au quotidien, pour ne pas qu’il soit seul, elle a fait venir une famille du Nord du Cameroun (parce qu’ils sont plus sérieux et travaillent, les gens du Nord !). Elle a payé le voyage de la famille, elle l’a accueillie pendant 2 jours. La famille est allée s'installer chez son père et s'occupe de lui désormais. Tous les mois Christine versera le salaire pour l’homme et la femme, et elle payera la scolarité des enfants jusqu’à la fin de leurs études primaires, ainsi que les frais d’hospitalisation. C’est à ce prix que son père sera entre de bonnes mains. Ici, on n’imaginerait pas mettre ses parents en foyer de retraite.