FJ Merci
Quand me vient l’envie et le besoin de m’évader, inutile de me demander où je pars : c’est à peu près toujours la même destination - je prends la moto, ou le taxi, ou le bus, ou le train ou l’occasion qui se présente … je file à Gada (quand c’était encore ouvert), à Binidang ou à Karna, chez les Filles de Jésus – ou bien à Mvolyé et à Soa quand je suis de passage à Yaoundé. Les sœurs m’accueillent toujours avec le sourire, même quand ma visite s’improvise ou qu’elle ne vient pas au bon moment – et oui : on n’a pas toujours la main sur nos emplois du temps respectifs !
J’apprécie de retrouver chaque communauté, chaque sœur. Je retrouve la France, un peu de la Bretagne, un peu de la maison, l’impression de retrouver la famille. Peut être parce que la maison mère des Filles de Jésus est à Kermaria, tout près de Locminé, à quelques kilomètres de la maison de mes parents – et vu d’ici, c’est la porte à côté.. Peut être parce que j’ai été au collège des sœurs de Kermaria à Kersorn et au lycée aussi à Jeanne d’Arc à Pontivy, et que le lien se renforce avec les années qui passent – et particulièrement ici - un peu plus à chaque rencontre. Peut être parce que l’engagement de ces femmes, la simplicité de nos relations me touchent.
J’aime discuter avec les sœurs, sur ce qui fait mon quotidien ici, les joies et les difficultés qui m’habitent, les questions interculturelles auxquelles je suis inévitablement confrontée. Elles sont ici depuis longtemps, elles connaissent la réalité mieux que moi, elles s’y sont frottées, elles travaillent ici dans différents domaines : éducation et santé en priorité.. Tellement qu’elles décodent certaines pratiques avec plus de distance que moi, qui suis souvent bien spontanée et catégorique.
Même lorsqu’elles sont bousculées dans leur quotidien communautaire, elles ont toujours l’oreille attentive et les mots qui donnent du sens à une mésaventure ou à une situation particulièrement hors du commun. Elles m’auront donné à chaque fois le goût et l’envie de poursuivre l’aventure de cette coopération et de repartir plus légère parce qu’écoutée. On sait tous qu’il n’y a rien de plus précieux qu’une oreille et qu’un cœur ouvert pour continuer simplement notre chemin - c’est de cette oreille amicale et bienveillante dont je vous parle, cette oreille qui donne l’importance à chacun des mots prononcés, qui donne de la valeur à tout ce que vous êtes et faites, qui donne l’impression d’exister.
Nos rencontres auront été et sont tout au long de cette année ici ma bouffée d’oxygène, un réel lieu de ressourcement – et je ne saurai leur rendre ce qu’elles m’ont apporté tant par leur accueil que par leur simple qualité d’écoute, chacune à leur manière. Pour tenir bon, on a tous besoin d’étoiles polaires. Elles étaient et sont encore mes aiguillons dans le ciel ténébreux, quand il peut l’être - dans le ciel tout court, d’ailleurs ! – parce qu’il n’est pas seulement besoin de ténèbres pour avoir besoin de quelqu’un pour aiguiller !
C’est chez elles, que j’ai découvert le dynamisme de la vie religieuse et l’enjeu de leur présence au monde. La place de la prière communautaire aussi, qui porte les unes et les autres, qui unit et relie, qui réunit, encourage à pardonner, à se réconcilier, à mettre en pratique dans le concret de la vie partagée l’Evangile. La place de la fête aussi : et que d’anniversaires, de chants de louange, que de célébrations, de verres levés à l’amitié fraternelle j'ai eu la chance de partager - pour honorer le témoignage de chacune et rendre grâce pour le don qu’elle fait de sa vie. J‘aime les écouter parler. Les voir vivre. Quand l’une est en peine, toutes le sont, quand l’une est en deuil, elles sont toutes unies par la prière, par la présence. Belle leçon de solidarité quand notre pays, la France élève en cause nationale la solitude dans les villes et dans les campagnes.
C’est toujours un cadeau quand l’une ou l’autre dévoile son histoire, partage avec humilité son parcours mettant la lumière sur le mystère d’une vocation. Moi qui pensais que les religieuses étaient de ‘super-croyantes’, je découvre toute leur humanité, leurs interrogations, leurs limites, leur caractère, leurs joies, leurs rires, leurs amitiés, leur solidarité. Je réalise un peu plus à chaque fois, combien notre monde a besoin de ce témoignage de vie, de foi engagée dans la simplicité et le don de soi. Combien le défi du vivre ensemble, qu’elles relèvent chaque jour est un réel défi pour notre société du chacun chez soi ! et encore plus ici où elles relèvent le défi de l'interculture et de l'intergénération.
Je comprends que dans un monde en peine d’engagement durable, elles ont aussi leur message à donner : un message d’espérance, de patience et de persévérance – car rien n’est jamais acquis, tout est à construire dans l’aujourd’hui de nos vies par le pardon donné et reçu qui fait grandir chacune dans ce qu’elle a de plus humain et de plus petit.
Je découvre la vie communautaire : comment il peut être difficile mais au combien enrichissant de partager son quotidien avec d’autres – plus jeunes ou de cultures différentes - pour s’aider mutuellement à traverser les vicissitudes de notre humanité si fragile – pour ouvrir son cœur à toujours plus de tolérance et d’acceptation de l’autre. Je découvre la beauté du partage, qui va au-delà du vœu de pauvreté : accepter de n’avoir rien d’autres que ce bien qui est commun à toutes – que certains pourraient qualifier de sacrifice, mais qui n’en est rien si on pense à ce que ce bien mis en commun apporte à toutes.
Je comprends que pour en être là aujourd’hui, ça n’a pas été facile ni pour l’une ni pour l’autre. Il aura fallu choisir et renoncer, il aura fallu faire un pas de plus et ne pas se retourner, dépasser des incompréhensions, des doutes aussi. Il aura fallu avancer sur une ligne qui semblait déjà tracée par quelqu’un d’autre. Oser une décision - et ce n’est pas simple, peu importe le contexte historique ou l’histoire personnelle de chacune ! En tout cas, ce qui est sûre, c’est que c’est une décision prise dans le secret d’un cœur à cœur avec Dieu, un face à face qui tient d’un mystère et d’une grâce.. Une décision qui ne s’est imposée à aucune, mais qui s’est inscrite comme logique pour unifier passé, présent et avenir d'une vie de don consenti.
Je n’en connais aucune qui regrette ce choix. Elles ont aussi la simplicité d’avouer que le chemin n’est pas toujours facile. Elles ont toutes répondu à un appel et me renvoient en toute honnêteté et lucidité à cette question. Une question qu’on se pose tous un jour ou l’autre, Quelle est notre vocation d’homme ? De femme sur cette terre ? Que voulons-nous faire de nos vies ?
Si je le savais mes sœurs, je vous le dirai..
En attendant, merci pour vos prières et votre soutien !