La vie en communauté
Je crois qu’il y a au moins une chose que je fuyais en venant au Cameroun : la solitude que je pouvais ressentir en rentrant chez moi le soir, de n’avoir personne à qui partager la journée, les joies, les difficultés, relire mon quotidien pour mieux repartir le lendemain. Lorsqu’en entretien de recrutement, la DCC m’avait demandé si je souhaitais vivre dans un logement seule, ou en colocation avec d’autres coopérants, ou bien dans une communauté, j’avais été claire : ne me mettez pas toute seule, je risquerai de déprimer, et pour moi, partir en coopération, c’est aller à la rencontre des gens… rien de mieux que de vivre ensemble pour se rencontrer vraiment !
Mon souhait a été exaucé … je vis en communauté .. et quelle communauté : 7 garçons et un prêtre, c’est plutôt atypique… et je découvre les joies et les difficultés qui en découlent. Je découvre que la vie en communauté est exigeante, mais quel chemin !
Et si vous me demandez au bout de deux mois une quelconque recette pour vivre ensemble, je crois que je mettrais une bonne dose de patience, un minimum de communication, quelques gouttes d’abnégation.. et des moments précieux de solitude.
La patience, qui va de paire avec l’endurance quand il faut répéter trois fois aux enfants de faire ci ou ça : les dents qui ne sont pas lavées, les lits qui ne sont pas faits correctement, les allumettes qui ont encore été égarées, les devoirs qui ont été bâclés pour pouvoir aller jouer, refaire plusieurs fois la même dictée avec Amos qui est totalement perdu dans son alphabet, redire les règles d’un jeu et ne pas renoncer devant la tentation de trop les simplifier par facilité … et puis parfois il faut savoir abandonner l’idée de se faire comprendre, ou trouver une autre stratégie pour arriver au bout … C’est comme ça que samedi matin avec Magloire, nous avons coupés la citronnelle qui devait déjà être coupée depuis depuis …. , que nous avons chassé les souris dans le toit, et finalement tellement rigoler, que je ne crains même plus d’avoir des souris dans la maison, si en contre partie nous prenons autant de plaisir à les chasser entre les fils d’électricité en équilibre sur les poutres. Magloire avait tellement peur de se faire attaquer par un hibou, un rat ou un insecte, qu’il était vraiment crispé. Je crois que j’avais aussi peur que lui, mais de nous deux, il fallait bien qu’il y en est un qui avance !
Patience, patience, ce mot résonne ici tous les jours dans ma tête .. peu à peu, je vois les progrès d’Amos en dictée, les lits sont faits au carré et puis de temps en temps, je fais semblant de ne pas voir.. La citronnelle a repoussée depuis et elle est toujours aussi bonne en infusion ! Et si il y a des règles dans les jeux, il y a aussi la place pour en inventer d’autres !! Finalement, j’ai compris qu’il vaut mieux conjuguer certains verbes au subjonctif qu’à l’impératif ! 
La communication… la vie en communauté prend son envol et tombe dans les abîmes dans les conversations. Il y a des conversations pétillantes, riches de partages et de nouvelles.. Quel plaisir d’écouter Aloïs parlant de son parcours, Gédéon raconter sa journée, Nicole partager ses questions, ses préoccupations ! Laisser parler les gens qui m'entourent, les écouter se dévoiler peu à peu, relancer la parole et chercher à comprendre l’autre.. une certaine complicité s’installe, ou à défaut d’une amitié, il y a les prémisses d’une réconciliation.. et de réconciliation en réconciliation, quelle joie d’écouter celui qui ose parler de son idéal, partager ses difficultés, ses projets ! Et puis
parfois quand les mots manquent savoir rester silencieux.. c’est comme ça qu’avec Aloïs quand je suis fatiguée, je préfère me taire.. et ne pas culpabiliser du silence qui s’installe.. et je repense aux repas pris a Landevennec avec une amie lors d’une retraite … comment dans le silence, une autre forme de communication prend le relais et apaise aussi .. quand c’est un silence consenti mutuellement ! Et il vaut mieux se taire parfois que de se lancer à contre cœur dans une conversation qui risquerait de mal tourner !
L’abnégation.. savoir s’oublier, rester en retrait, obéir aux règles de la vie communautaire, faire simplement à manger sans rien attendre en retour, ni merci, ni les moindres félicitations, faire les courses, remplir le frigo pour que les estomacs puissent être rassasiés, gérer dans l’ombre les problèmes de plomberie, de chaudière, régler les factures d'électricité à la SONEL .. Se mettre au service du le bien de chacun, mais ne pas oublier de le faire de manière intelligente…
La solitude.. c’est drôle : quand on est seul on cherche le groupe, et quand on est en groupe, on cherche la solitude.. je crois que l’un ne va pas sans l’autre. Si chaque matin, je ne prends pas un temps pour moi, en silence, je sens que je vais être dépassée, alors je préfère prendre 20 minutes en début de journée et partir du bon pied que de commencer ma journée sans ces 20 minutes précieuses de pause structurante, prendre le texte d’Evangile du jour et me tourner 
vers Dieu pour qu’il m’accompagne tout au long du jour, dans les rencontres qui m’attendent, dans les situations auxquelles je serai confrontées.. Prendre ce temps, c’est me préparer à bien vivre avec les autres.
Prendre du temps pour moi.. me défouler à piller les feuilles ou les condiments... aller marcher seule dans la montagne, prendre un livre et m'évader un peu .. ou bien visiter les soeurs de Gada, de BiniDang .. quelques oasis pour me ressourcer et repartir plus légère, motivée..
Prendre du temps pour moi, c'est aussi pour les autres que je le fais finalement.. pour être supportable!! Car loin de voir seulement les défauts des autres, je réalise aussi mes impatiences, mes sauts d'humeur, ma fatigue, mes propres incohérences parfois .. Les enfants sont les plus difficiles à tromper. Et quand je les oublie un peu, quand je ne suis pas là le vendredi soir ou le samedi, ils savent me le faire comprendre sans rien dire..
Finalement, cette vie communautaire est une vraie chance... Et je préfère et de loin partager ce toit avec tout ce petit monde, que d'être seule dans cette immense maison ...