Fête des Enseignants
La journée avait bien commencée.. J’avais eu des consignes claires : rendez vous place de l’Indépendance à 7h00. J’étais allée chercher la veille le programme des festivités à la délégation régionale de l’Inspection Académique… et je découvrais l’organisation :
7h30 arrivée des enseignants
8h00 arrivée des invités
8h05 arrivée du Lamido de Ngaoundéré
8h10 arrivée des délégués régionaux de l’éducation de base et des enseignements secondaires
8h15 arrivée des maires des communes des arrondissements
8h25 arrivée des Sous-préfets des arrondissements
8h25 arrivée du délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine
8h30 arrivée du président de la cour d’Appel de l’Adamaoua et du Procureur générale
8h35 arrivée du Directeur général de l’EHT-CEMAC
8h40 arrivée du recteur de l’université
8h45 arrivée du Préfet du Département
9h00 arrivée du gouverneur de la région
9h00 hymne national
9h05 Installation à la tribune
9h10 Défilé des enseignants
13h00 Réjouissance et cocktail
Tout semblait bien chronométré, coordonné sur le papier.. Surprenant d’ailleurs.. un trou entre 9h10 et 13h00 !! le défilé durerait-il 3h00 ? nous allions beaucoup marcher !! Peu importe.. on verra !!
Le directeur avait répété plusieurs fois la veille : soyez tous à l’heure à la Place de l’indépendance.
Je me lève de bon matin, j’enfile ma tenue un peu trop large à mon gout.. Mais que voulez vous : le caban ici se porte comme ça. J’ai l’impression d’avoir pris 50 kilos, la conviction que ce type de tenue ne va vraiment pas aux femmes occidentales, que nous n’avons pas les formes pour ça ! Mais je joue le jeu : les collègues et l’école se sont cotisés pour payer une partie de la tenue.. je ne vais pas la laisser au placard. Le principal, c’est que nous soyons tous unis pour défendre les couleurs des Enseignants !
Mister Otto, un enseignant, devait venir me chercher. A 7h30, il n’est toujours pas là. Je descends chez lui, il habite tout près. La maison est bien calme ... pas de Mister Otto en vue, la moto est toujours là : ouf, il n’est pas parti sans moi !! J’appelle, sa femme me répond : il arrive, il arrive.
Et là… je le vois arrivé en tenue civile
- Mais Sandrine tu es déjà là.
- Otto, on avait rendez vous à 7h00 à la Place de l’Indépendance.
Il explose de rire..
- Sandrine, ici 7h00 c’est plutôt 10h00 surtout un jour comme aujourd’hui..
- Je ne comprends pas.
- En Afrique c’est comme ça. On peut arrêter le temps, on n’a pas la montre. Et puis les gens n’arriveront pas à la place pour la fête avant 10h00
- Et Monsieur Cyprien.. pourquoi a-t-il dit rendez vous à 7h ?
- Parce que c’était marqué sur le programme !
- J’ai du mal à comprendre..le programme officiel commence à7h00 et tu me dis que ça commence à 10h30.. mais dis moi à quelle heure veux-tu partir alors ?
- A 8h30, c’est bon.
- Ok.. je rentre chez moi alors..
- Et je passe te prendre.
- Merci…
Je remonte donc à la maison dans ma tenue : j’ai le droit à de nombreux Bonne fête par nos chaleureux voisins.. Je me sens un peu seule !! Moi qui m’étais préparée à une grande journée solennelle, j’atterris : la grande journée commencera-t-elle à 10h30 ? Mister Otto n’est pas du genre à faire des histoires, il est plutôt du genre à faire des blagues… mais celle là, elle est quand même osée !
Tant pis.. je rentre et je fais des yaourts !!
A 8h30, Otto arrive en moto… on part. En ville, il n’y a personne, pas une seule tenue d’enseignant en vue.
- Je t’avais dit, que nous serions les premiers.. on va à la gare alors, je dois prendre un billet pour ma femme.
- Ok..je m’incline
- Ici, c’est comme ça !
Nous voilà partis à la gare.. Deux enseignants à moto à 8h30 le jour de la fête des enseignants, ça ne passe pas inaperçu !! bonne fête, bonne fête, …
9h15. Nous revenons de la gare et retrouvons les collègues qui attendent depuis quelques minutes.. sauf madame Lucie, l’enseignante de français, qui pour faire bonne impression est arrivée à 7h et se plaint des mauvaises habitudes camerounaises.. C’est toujours comme ça !
Les hommes se chargent de trouver un bar pour partager le repas du midi que nous avons préparé la veille avec les enseignantes de maternelle : Patience et Patience. Avec les femmes, nous trouvons un banc pour taper le commentaire sur la coupe des tenues des autres enseignantes : il y a celles qui ont fait la robe, ou bien la jupe et le haut, ou juste la chemise.. chaque école son style, chacune selon son budget : des très jolies, des plutôt provocantes, des simples comme les nôtres.
Les hommes nous retrouvent.. et on débat sur la ponctualité, sur la journée des enseignants, le thème de la journée :
La reconstruction passera par les enseignants
Drôle de thème.. Personne ne le comprend dans l’équipe. Moi je demande naïvement ce qui est à reconstruire.. Ils ne savent pas quoi me répondre.
10h45.. du côté de la tribune de la place de l’indépendance on entend les gens au micro.. et on s’approche.
Premier discours.. rien compris : la sono est mauvaise !
Deuxième discours.. pas très audible non plus !
Ensuite un poème.. Bizarrement le micro fonctionne et le poème reçoit une salve d’applaudissements et des cris d’allégresse se font entendre dans la tribune.
Souviens-toi
Souviens- toi de ton enseignant
Administrateur, magistrat, médecin, homme en tenue
Souviens- toi de lui
Citoyen camerounais
Souviens-toi de ton enseignant
De ce qu’il a été pour toi
Pour ce qu’il a fait pour toi
Toi, le chevalier à la craie
tu chemines là où ton devoir l’appelle
Réduit à préparer tes leçons à la lueur de la chandelle
Pour te présenter devant des classes où fourmillent les apprenants
tu as compris ta tâche
Sans relâche sans compromission
Formateur de l’humanité toute entière
Ta mission est vitale
S’en est suivi le représentant des syndicats.. Piquant, cinglant parfois au plus grand bonheur de mes collègues. Il reprend le thème de la rencontre : la reconstruction ! Pour lui ce thème est provocateur.. un réel affront pour les enseignants : corruption, tricherie, inertie, agression, trafic d’influence gangrènent la société malgré le travail et l’engagement de son excellence Paul Biya. Les enseignants devraient reconstruire ce qui a été détruit.. mais pas par eux ! Or tout comme le maçon a besoin de matériel pour reconstruire un mur tombé, les enseignants ont besoin de moyens .. et la liste des doléances est longue :
- davantage d’écoles bilingues
- la décentralisation du reclassement au niveau de la région
- une prime pour la zone prioritaire de l’Adamaoua
- des logements sociaux réservés aux enseignants
- une prise en charge maximum des Enseignants
- la clôture des écoles –surtout en milieu urbain
- Des médailles pour saluer le mérite des enseignants lors de la fête nationale
- La distribution du paquet qui a dû s’égarer dans les bureaux de l’Académie
- L’assurance maladie pour tous
Il termine son discours avec une liste aussi longue de remerciements.. et bien sûr longue vie aux Ministres, à nos écoles, à Paul Biya !
Le gouverneur étant absent, son secrétaire prend la parole. Il commence par résumer son propos
God bless the teachers
Les gens pensent qu’il a terminé.. et lui aussi aurait voulu se contenter de ces 4 mots je crois ! .. mais il sait que les enseignants en attendent plus alors il se lance dans un discours après un silence qui inquiète les gens.
Cette journée internationale est l’occasion de réfléchir .. au-delà des récriminations liées à la réalité, l’Etat sera toujours là, assure-t-il pour former et intégrer les enseignants qui prennent en charge la jeunesse du pays. Les problèmes persistent :
- La mauvaise gestion des équipements issus des dons de la coopération japonaise
- Le manque de propreté et d’hygiène dans certaines écoles
- Le sacrifice des moyens publics dilués dans des préoccupations mercantiles d’entrepreneurs peu scrupuleux
Le thème de cette année doit encourager les enseignants à poursuivre la réflexion : l’Etat est là et encouragera les réformes.. mais le premier acteur de la reconstruction doit être l’enseignant lui-même : sacrifice, dévouement, effort.
Et il conclue
Que vive l’école
Que vive l’Adamaoua
Que vive le Cameroun
Et son illustre chef Paul Biya
Pas de commentaire..
Le défilé se prépare.. en 20 minutes les quelques centaines d’enseignants sont en fil indienne. L’école des Enseignants commencent, les enseignants en tissu verte ensuite, les tissus rouges suivent et le carré des civils clôt la marche. Les femmes devant, les hommes derrière.. Et tout le monde marche au pas devant la tribune au rythme des notes de musique distillées par l’orchestre.
En tout et pour tout.. 20 minutes de discours, 20 minutes pour organiser le défilé..
et 5 petites minutes de défilé..
Grande fête des Enseignants..
Je reste perplexe !! Tout ça pour ça !
L’école a versé une cotisation de 10.000 CFA pour participer à cette manifestation.. on ne verra pas la couleur du cocktail, des réjouissances ou du moindre dépliant papier qui justifierait cette dépense.
- Mais où est partie l’argent de la cotisation, Cyprien ?
- L’envoi des invitations, je pense.
- Mais on n’a pas eu d’invitation, je suis allée chercher le programme à ta demande.
- Le déplacement des hautes autorités alors !
- Mais ils ont juste à traverser la rue.. Regarde, leurs bureaux sont tout autour de la place de l’Indépendance.
- La cotisation c’est pour qu’ils viennent.
- Ah bon.. sinon, ils ne viendraient pas.. vous êtes quand même plus d’un millier ici, tout le monde a fait l’effort de se faire une tenue et c’est une journée internationale !
- Oui, mais tu sais.. ici, les enseignants ne sont pas beaucoup respectés. Regarde.. même la circulation n’est pas arrêtée : le jour de la fête des femmes, il n’y pas une seule voiture sur cette route ! Allez maintenant on va faire la fête.
Direction la Belle Epoque (il n’y a pas de mystères.. c’est un petit clin d’œil à tous les connaisseurs, aux bons moments passés chez Cool... drôle de coïncidence, n’est ce pas !!! ) un bon repas : maquereaux plantains.. je ne sais pas comment mes collègues font : ils ne laissent pas une seule arrête, même la tête y passe ... et ils descendent des quantité de bières… je m’incline ! Pas de rhum arrangé ici, mais des vendeurs ambulants qui viennent nous vendre des chaussures, du dentifrice, des habits, des petits sachets plastiques de vodka, whisky.. 3cl de contenance !!
La fête finalement, c’est surtout entre collègues ! une bière puis deux.. la musique, l’alcool qui échauffe les esprits et les langues qui se délient par la même occasion, les gens qui dansent.
Happy Teacher’s Day
Les enseignants de l'école Sainte Anne de Marza
De gauche à droite
Winifred (SIL), Patience (PS), Patience (GS), Moi et Lucie(enseignante de Français)
A genoux : Oliver (CP), Andrew (CE1 et grand sportif)
Debout : Célestin(CE2), Cyprien (CM1 et directeur), Otto (CE1 et animateur liturgique)