La cuisine est dans le pré !
La saison des pluies .. Quelle aubaine !
Quand vient le temps de la récolte, on déserte le marché de la ville pour aller au fond, tout au fond du jardin, près du marigo, cueillir poivrons, choux, aubergines, tomates, céleri, basilic, Kombo, foléré et autre légumes. On traîne sous les manguiers, les papayers, les goyaviers, les bananiers jusqu’à indigestion ... Il reste même quelques fruits sur l’anacadien : un vrai délice quand il est mangé à maturité ! Le jardin à cette période, c’est un régal pour les yeux et bientôt pour le ventre ! Mais avant ça, il aura fallu travailler et attendre, car les semis ne se font pas tous seuls et les plantes ne poussent pas en un jour !
Sœur Nicole, les enfants et quelques adultes en renfort auront pris soin de la terre et m’auront partagé l’art et le goût du jardinage. Après la pluie, matin ou soir, on sort les houx, les pioches, les râteaux, les seaux et les arrosoirs, on patauge dans la terre humide pieds et mains nus sous un ciel clément et on arrange le jardin en entonnant un chant au gré des propositions des uns et des autres.
Il s’agit d’abord de préparer l’espace et de faire les billons : piocher dans la terre et faire un nouveau monticule au dessus du compost déjà étalé - un monticule suffisamment haut et sans tasser la terre pour que l’eau puisse s’y infiltrer, suffisamment haut aussi pour que chaque racine puisse s’épanouir selon ses besoins. Ensuite, on sème en poquets, en bulbe, en pousse à juste distance et selon les arrangements ! J’apprends quelques astuces : par exemple semer les haricots parmi le maïs pour qu’ils bénéficient de l’ombre et d’un environnement plus propice à sa croissance.
Ensuite il faut arroser quand la pluie ne fait pas l’affaire.. Et puis désherber à la main naturellement – ce n’est pas ici qu’on va utiliser des pesticides, seul le fumier a droit de passage ! Il s’agit d’enlever les indésirables pour que les pousses n’étouffent pas. Encore faut-il reconnaître les mauvaises herbes des bonnes et j’avoue qu’à ce jeu là, je ne suis pas brillante : pour moi tout est vert, et c’est tout un exercice d’observation !
Quel plaisir de voir chacun s’activer et mettre sa touche, prenant conscience que le travail fournit aujourd’hui portera ces fruits demain.. et demain ici, c’est déjà dans deux, trois semaines : ça pousse vite ! Presque à vue d’œil ! Chaque jour, chaque lendemain on voit la hauteur que prennent les plantes, on voit les progrès de la pousse encore discrète et fragile hier, on sait déjà que les estomacs en profiteront bientôt.. Parce qu’ici, il n’est pas question de se nourrir de boîte industrielle ! On mange ce qui sort de la terre et les produits qu’on élève. Le centre produit suffisamment et le surplus est vendu au marché.
Entre l’élevage de porcs, de poulets, de lapins, les vaches laitières, les arbres fruitiers, les champs de maïs et de manioc, le centre a développé toute une culture qui fait rougir les paresseux. Et oui, tout le monde n’est pas adepte du travail de la terre, de la boue et de la suée, tout le monde n’a pas l’âme de la culture et de l’élevage. Certains préfèrent traîner au quartier, devant une calebasse de bilibili et crier famine plutôt que de se salir les mains ! Et pourtant se salir les mains, c’est presque un don – de saisir où, quand et comment semer les betteraves, les carottes, les pommes de terre ; de sarcler le nécessaire pour ne pas meurtrir le début de la récolte ; de jongler entre une pluie battante et un soleil trop intense ; de patienter le bon moment pour couper. C’est tout un investissement, un calcul aussi : il faut anticiper, ne pas traîner, profiter des petites mains bien agiles pour aller au bout du labeur quotidien en cette période.
Et après seulement, vient la récompense : dans l’assiette !
Encore faut-il savoir préparer comme il faut. Et là aussi, c’est tout un art, que les enfants apprennent très tôt. La nourriture de base ici, c’est la boule tournée et retournée dans la marmite : boule de maïs blanc, ou jaune boule de mil rouge, boule de manioc. Chaque région a son couscous et ses habitudes alimentaires. Ici, c’est la boule de maïs qui a la préférence. Nourrissante, consistante, elle cale pour la journée. Avec un peu de lait, elle est plus légère. On la mange avec les mains, après l’avoir malaxée et enrobée de sauce, car la boule sans sauce n’a aucune saveur et ne donnera l’appétit à personne. Alors vive les sauces de légumes : folon, foléré, combi, Kombo, gougoudo, manioc.. ne me demander pas la différence entre les uns et les autres : je suis incapable de vous dire même si certains ont ma préférence. Certains sont amers, d’autres ressemblent aux épinards, certains n’ont pas de goût – mais les condiments rattrapent la fadeur ! -, certains sont extrêmement gluants.. ça dépend de la cuisson et de la préparation.
On s’habitue, l’estomac ne se plaint pas. Il est repu !