Eprise des mots
Cette année aura affermie mon goût des mots pour le dire et l’écrire.
J’aime écrire, décortiquer, analyser, reconstituer le roman de ma vie, tenter de saisir ce qui échappe inévitablement, le graver en quelque sorte par l’écriture, lutter contre l’oubli. Vous le partager. Faire du lien entre ici et maintenant et le retour demain, qui s’écrira d’une autre manière. Trait d’union entre moi et vous qui lisez, qui m’encouragez, me soutenez. Merci pour vos messages que je découvre au gré des connexions aléatoires sur Internet. Pour vos réactions, vos questions, vos témoignages. Ce blog, ces lignes sont le reflet d’une expérience qui me bouscule un peu, beaucoup parfois. Elles m’aident à relire, à donner du sens. A prendre de la distance aussi face à différentes situations.
J’aime écrire. J’aime ces rendez-vous avec la plume ou le clavier. Un rendez-vous qui ne s’impose jamais, ou rarement. Souvent les idées devancent la rédaction. Elles sont là dans la tête et les mots viennent facilement quand il s’agit de remplir une page blanche. Je me dis : Tiens, je veux écrire sur tel sujet. J’attends un peu, j’attends de trouver le temps – 1h ou 2 chaque semaine, et puis une fois que le premier jet est rédigé, je le laisse de côté 24h. je le reprends ensuite, je relis, je corrige, j’affine.. Malgré la relecture il reste toujours quelques fautes de frappe, ou d’orthographe, ou d’accord – et je rage quand je découvre ces manques d’attention déjà diffusés sur le blog, je rage de ne pas les avoir vues avant ! Mais ça ne gâche pas le plaisir de tenir ce blog à jour, au fil de cette aventure. Un peu galère parfois de télécharger le texte, les photos. L’ADSL n’a rien à voir ici avec le haut débit, mais je fais avec.
C’est toujours un peu périlleux d’écrire. Il faut choisir, peser les mots aussi, retenir ce qu’on ne peut pas écrire par convenance, par pudeur - ou de peur d’inquiéter inutilement, de peur de déranger sans le vouloir, de peur de blesser. Il y a les écrits qu’on censure pour pleins de raisons, ceux qui resteront privés, ceux qu’on partage avec les amis, la famille, ceux qu’on ne peut dévoiler. Pas encore parce qu’ils ne sont que brouillons et confus. Ou parce qu’ils sont encore muets.
Tout comme c’est toujours un peu périlleux de soutenir quelqu’un qui traverse un mauvais moment.
Que dire à la maman qui amène son enfant fiévreux au dispensaire – bien trop tard ? Parce qu’elle aura d’abord été voir le marabout qui ne sera pas venu à bout des maux, parce qu’il aura ensuite fallu convaincre le mari, absent depuis 3 jours, d’avoir recours à des soins moins traditionnels. Peut être qu’au centre de santé, ils pourront faire quelque chose ? Comment lui dire qu’il n’y a plus rien à faire ? - sauf le laisser partir, il aurait fallu venir plus tôt !
Que dire à ce papa qui vient tous les mois au bureau s’excuser de n’avoir pas l’argent pour la scolarité des enfants ? Mais s’il vous plaît ne les chasser pas de l’école. Il vit dans une case en terre qu’il a du mal à rénover tous les ans avec son mal de dos et sa prothèse à la hanche –alors la pluie ruisselle sur les nattes surtout en ce moment. Les enfants n’ont pas la lumière pour étudier, mais ils les laissent apprendre après le travail aux champs. Lui n’a pas de travail, personne ne veut l’embaucher, même pour une petite jobine. Il n’y a rien à faire. C’est vrai qu’il a eu des problèmes d’alcool, mais là, c’est vraiment fini ! Il faut que les enfants s’en sortent.. parce que lui, il ne peut rien faire de ses mains, il ne sait ni lire, ni écrire, parle juste quelque mots de français.. et sa défunte épouse lui a fait promettre sur son lit de mort, qu’il ne les abandonnera pas !
Que dire à cette jeune femme qui passe son examen de conduite pour la troisième fois et qui se voit refuser l’autorisation de circuler parce qu’elle a n’a pas répondu aux demandes de Monsieur l’inspecteur. Si elle avait accepté de coucher, elle l’aurait eu du premier coup. Un coup pour un coup ! Mais elle est têtue et la résistance a un prix. Elle a peut être raison, mais en attendant, elle reste à la maison !
Que dire à cet enfant qui subit la vie sans rien y comprendre. Il arrive tous les jours en retard à l’école parce qu’avant de prendre la route, il aura fallu aller puiser l’eau, balayer la cour, arranger la case du chien, donner à manger aux poules, réveiller les petites sœurs, allumer le feu, chauffer l’eau, y diluer un peu de lait en poudre, faire manger toute la bande. Depuis que maman est partie, la vie à la maison n’est pas drôle. Il n’a pas l’air vieux et pourtant il est déjà usé en dedans !
Que dire à ces sœurs qu’on chasse du quartier où elles ont tant investi d’énergie. Elles auraient sûrement envie d’exploser de colère et de rage, mais elles retiennent l’amertume et la rancœur pour partir dans la dignité. Elles plient tel le roseau, parce qu’il vaut mieux plier que de se fermer comme le roc. Et pourtant face à une décision injustement prise et même pas justifiée, face à une décision indigne de l’Evangile, il serait légitime de fléchir, d’envoyer tout promener – et la fidélité à l’Eglise locale et à la hiérarchie, démissionner devant la mesquinerie, la trahison.
Que dire à cet homme d’Eglise qui devrait avoir comme seul souci d’honorer la dignité de chaque homme et de chaque femme dans ce qu’il et elle ont de sacré, - cet homme dont la vie ne colle pas très bien avec ses belles paroles sur la charité fraternelle. Vivant d’une manière et parlant d’une autre, il aura
beau se mettre en scène, la comédie dans c cas est comme la maladie qu’on refuse de soigner et c’est bien dommage et encore plus dommageable. A vouloir bluffer quelques fidèles, il finit par perdre la raison.. Mais loin de moi, l’idée de juger les contre-témoins de la mission, usurpateurs des droits que leur octroie leur patron !
Que dire à ces enfants qu’on chicotte et que j’entends crier depuis le bureau, parce qu’ils ne savent pas la leçon, qu’ils ont oublié le crayon, qu’ils se sont agités, et parce que l’enseignant a décidé qu’il fallait taper. Ces enfants qu’on méprise et qu’on brime parce qu’on ne les aime pas assez. Ils seront des hommes et des femmes demain et se rappelleront forcément le regard et le geste qu’on aura posé sur leur corps d’enfants trop petits pour se défendre.
Que dire dans ce pays, où les riches construisent de si belles maisons, achètent de gros 4x4 fabriqués en Lybie subventionnés en partie par notre gouvernement français soucieux de contribuer au développement - alors que les pauvres toujours plus nombreux ne peuvent s’offrir un vrai repas ou le luxe des premiers soins en cas de maladie opportuniste. Que dire quand on entend à la télé de beaux discours, de belles promesses.. de la poudre aux yeux pour toute cette jeunesse qui veut faire confiance aux politiques - de toute façon on n’a pas le choix – alors ils postulent en masse pour décrocher un poste de fonctionnaire, parce qu’il parait que dès qu’on a une place, on est planqué et c’est pour la vie !
Peut être parfois il n’y a rien à dire. Juste être là. A l’écoute. Témoin des circonstances. Que de se lancer dans un plaidoyer pour des jours meilleurs. En tout cas, ici peut être plus qu’ailleurs, je vois que ce n’est pas d’avoir pitié qui fait avancer les choses et les gens. Ce n’est pas de se recroqueviller en soi qui dénoue les situations. Ce n’est pas le fatalisme non plus qui peut justifier que les uns s’en sortent indemne et les autres s’épuisent à essayer de survivre.
Face à ça, un honnête silence peut être un moindre mal – et s’habiller d’espérance, seul soleil qui peut éclairer n’importe quel homme et tous les jours. Même si cette espérance se traduit par une simple intention, une manière d’être là, même sans trop savoir quoi dire.. une présence pour inviter à sortir du marasme, à se lever, s’affairer, ne pas céder au scénario catastrophe et s’obstiner à ne pas caler – ne pas capituler ! Se projeter déjà sur des probables futurs bonheurs.. et s’il y a une chose que les mauvais jours ne tue pas, c’est la possibilité de prier. Tendre la main. S’émerveiller d’autant plus de voir autour de soi, ceux qui se lancent chaque jour dans de nouvelles batailles. Au nom de la vie.