Bilinguisme entre prouesse et paresse linguistique

Publié le par dcc-sandrineaucameroun.over-blog.com

«Êtes-vous francophone ou anglophone? » La question est simple et pourtant, elle peut mettre dans l’embarras plus d’un Camerounais, surtout lors d’un entretien d’embauche ! Dois-je répondre en français ? ou bien anglais pour montrer que je connais l’anglais ? oui, mais je ne connais pas l’anglais…

 

A l’école, je parle en anglais avec les enseignants, je parle en français et en anglais avec les élèves. Parfois ils me répondent en français, mais très souvent en anglais. Mais quand je parle en français aux enseignants, j’ai du mal à être comprise - enfin pas par tous, il ne faudrait pas exagérer !

 

b1.JPGLe pays se dit bilingue et cette semaine nous fêtons la semaine du bilinguisme. Le thème cette année : célébrer un bilinguisme de qualité, une ouverture sur le professionnalisme. Différentes activités sont organisées dans l’enseignement et l’école y prend part : meeting, conférence, sélection des meilleures prestations scolaires, …. Les enfants de l’école Sainte Anne ont préparé dialogue et sketch pour montrer qu’ils savent aussi bien parler français et anglais. Hier, nous avons participé à la sixième édition de la journée nationale du bilinguisme et les enfants s’en souviendront : j’ai accompagné une délégation de 6 enfants à la sélection. Nous avons attendu 3 heures pour que les manifestations commencent devant un jury qui n’arrivait pas à se mettre d’accord sur les modalités de sélection et sur le déroulement de la matinée. 23 écoles étaient représentées – à peu près 500 enfants, chacun avec son charisme, sa prestation b2.JPGet son niveau ... 5 heures de présentation et de défilé de différents groupes scolaires sous un soleil assommant mais heureusement les enfants sont imprévisibles si bien que dans le lot il y a toujours quelque chose qui nous sort de l’ennui ou de la répétition. Et au final l’attente a primé, puisque notre école a reçu le deuxième prix du jury. Une belle récompense pour la  petite Salem, qui jouait le rôle de la directrice, Carlos, interprétant le rôle d'un papa voulant inscrire son enfant et Ruben, qui passait pour un jeune élève bilingue. Les enfants ne se sont pas laissés impressionner par le jury, ni par la foule d'élèves plus âgés qu'eux. Ils les ont même fait rigoler!

 

  

Je dois avouer que j’ai été surprise par la qualité générale des présentations des enfants, de leur élocution et de leur vocabulaire. De la maternelle au lycée, les enfants de toutes les écoles jonglaient entre les deux langues, faisant une belle promotion au double ancrage francophone et anglophone. Si l'on s'en tient à cet événementiel, le pays pourrait se féliciter de cet atout, d cette prouesse linguistique.

 

Mais la réalité est un peu plus complexe ..

 

Bref retour historique pour mieux comprendre

Le Cameroun jusque 1916 était une possession allemande. Après la seconde guerre mondiale,  le pays est mis sous la tutelle des forces franco-britanniques qui le divisent en deux, les Français prenant la plus grosse partie du pays et les Britanniques se réservant le Nord-ouest et Sud-ouest. Chaque puissance coloniale administre à sa manière le territoire annexé. Puis les indépendances arrivent et dans la foulée la réunification du pays. Difficile de trancher entre l’anglais et le français ! A priori, c’est la raison pour laquelle, le français et l'anglais ont été adoptés comme langues officielles dans la Constitution du Cameroun. Les signataires de cette Constitution ont voulu transformé cet héritage du passé colonial en originalité. Etaient-ils ambitieux ou simplement visionnaires ? Pressentaient-ils que la mondialisation et l’évolution de l’économie internationale rendraient indispensables la maitrise de deux langues ?   

 

Dans la pratique, qu’en est-il du rêve des Pères fondateurs ?

 

Après 5 mois ici, je reste un peu perplexe. Je suis dans une région francophone. Sur les routes, dans les boutiques, les billets de banque, les circulaires, à la messe, le français est très présent… un peu d’anglais sur les produits de consommation.

 

b4.jpgJe vois cependant que les médias officiels en font leur leitmotiv. Si vous regardez le journal télévisé Cameroon Radio Television (CRTV), vous entendrez deux présentateurs qui parlent l’un en anglais, l’autre en français, avec des reportages traités dans les deux langues. Et même les séries télévisées américaines sont diffusées soit en anglais, soit en français, ce qui incite les accros à se mettre aux deux langues pour ne pas perdre l’intrigue de leur feuilleton !

 

Sur la scène politique, par contre, vous n’entendrez jamais Paul Biya parler en anglais. Question de principe !

 

Dans les administrations, au marché, à la poste, à la gare, au cyber, si je me mets à parler en anglais, alors que nous sommes dans une zone francophone, ce sera vu d’un mauvais œil. Dans une réunion pédagogique dite bilingue, si je parle en français, on me regardera avec ennui : « parle en anglais, si tu veux qu’on t’écoute », car les anglophones de l’Adamaoua, minoritaires dans la région parlent peu le français et se sentent souvent pénalisés. La vérité, c’est que ça reste difficile pour eux de progresser dans l’autre langue : manque de temps, de formation, d’argent, de volonté, ou serait-ce la paresse ?

 

b6.JPGDans les 10 établissements scolaires dits bilingues de la ville, il y a toujours une langue plus parlée qu’une autre et souvent des classes intégralement francophones et d’autres intégralement anglophones cohabitent. Les manuels et les techniques pédagogiques sont différents d’un système à l’autre et chacun prétend faire mieux que son acolyte. Résultat à l’appui ! Dans notre école, les enseignants font tous leurs cours en anglais : ils sont tous du Nord Ouest du Cameroun et donc anglophones. Un enseignant francophone passe dans chaque classe chaque jour pendant une heure. La réalité est là : le français est parlé par les francophones et l’anglais par les anglophones et si on parvient à se comprendre, c’est l’essentiel. Les efforts pour parler l’autre langue sont encore timides même si les enfants chantent l’hymne national le matin aussi bien en anglais quand français. Ils sont habitués. Et ici, comme ailleurs, les ados surtout parlent le franglais ou le francamglais si ce n’est le camfranglais, un mélange de français auquel on associe l’anglais – ça découragerait plus d’un enseignant de la langue de Shakespeare d’entendre :

-          Where is lui ?

-          On go à la school.

-          Tu es ready ?

-          Tu come maintenant.

-          Donne moi tes books !

 

Difficile d’arrêter ce mouvement et même moi, je me prends au jeu des mélanges parfois. Et quand je peux, j’ajoute un peu de fufuldé : ça fait rire et ça fait local !

 

-          Attends, I give you a pen.

-          Mi dilli, à tout à l’heure.        Je pars, à tout à l’heure

-          Dam waala, à demain.           Dors bien, à demain

-          Mi Dandi, donne moi l’eau.   J’ai soif, peux tu me donner l’eau

-          Mi somi, je vais me coucher. Je suis fatiguée, je vais me coucher

 

Car ici, les gens ne maitrisent pas qu’une langue, ça c’est une évidence. La plupart des Camerounais parlent le français ou l’anglais et un si ce n’est deux dialectes, ou plus.. Ici, il y en a plus de 200 : Bassa’a, Ewondo, Bakoko,.. Alors parler du bilinguisme au Cameroun, ce n’est finalement pas tout à fait faux. Les Camerounais sont polyglottes, seulement leur dialecte n’est pas reconnu !   

 

 

Et pourtant …

 

DSC01015.JPGQue le français et l’anglais, les deux langues officielles du pays soient parlées et comprises par tous, au quotidien, serait un atout réel pour chacun. Beaucoup se rendent compte de l’intérêt personnel que représente la maitrise des deux langues…  Ce qui est sûr c’est que les enfants ouvrent cette voie en bénéficiant d’un enseignement qui cherche à se perfectionner et par les nouvelles technologies qui prennent de plus en plus de place dans leur quotidien. Sans compter que leur regard et leur intérêt se tournent inlassablement vers la Francophonie et vers le Commonwealth. Nul doute que cet idéal linguistique soit donc un jour plus qu’une théorie !

Publié dans Février

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